"Les écrans fatiguent nos yeux”, ils sont “nocifs”... Les fabricants tentent de nous convaincre d’acheter des lunettes de protection contre la lumière émise par nos écrans, en particulier la bleue. Il est vrai que nous passons en moyenne 5 à 7 heures par jour devant nos écrans de smartphone, ordinateur, tablette... De quoi soulever quelques inquiétudes pour nos yeux.
Il s’agit de certaines longueurs d’ondes dans les bleus-violets, de 415 à 455 nanomètres. Plus énergétiques que les autres, elles frappent la rétine avec davantage de puissance. On retrouve de la lumière bleue partout, y compris dans la lumière naturelle. Mais les écrans OLED en ont proportionnellement plus. Les Leds d’éclairage intérieur aussi, c’est pour cela que les spécialistes conseillent d’acheter des “blanc chaud”.
Les effets de la lumière bleu-violet sur des cellules de la rétine ont été démontrés : en 2013, une étude de l’Institut de la vision a montré que la lumière bleu-violet pouvait détruire des cellules de la rétine de porcs, et provoquer des dégâts comparables à ceux de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Mais ce constat a été établi dans des conditions d’expérimentation qui n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité.
« On ignore quels sont les effets de la lumière bleu foncé en conditions réelles, mais on peut penser qu’elle est certainement toxique, surtout chez l’enfant dont la cornée et le cristallin, plus clair, laissent passer la quasi-totalité du bleu », dit le Pr Gilles Renard, directeur scientifique de la Société française d’ophtalmologie. Une exposition répétée pourrait avoir des effets cumulatifs dans le temps, créant un risque potentiel à long terme. Les plus jeunes sont donc les seuls à être réellement concernés.
Au quotidien, nos écrans peuvent nous exposer aux longueurs d’ondes bleu-violet, c’est vrai, mais pas tous. Seules les technologies à Leds les plus récentes produisent un spectre lumineux composé de plus de lumière bleue que la lumière naturelle, et toutes ne sont pas équivalentes.
« Les écrans LCD éclairés par des diodes posent peu de problème, dit le Pr Renard. Car la lumière traverse la dalle de cristaux liquides, et n’est pas directement transmise à l’utilisateur. À l’inverse, dans les écrans OLED ou AMOLED, chaque diode est à la surface de l’écran, et plus on regarde de près, plus on reçoit de lumière. Il est alors préférable de limiter le temps d’exposition et de les éloigner autant que possible des yeux. »
Leurs verres sont constitués des mêmes matériaux que les verres correcteurs, de la résine de synthèse, la plupart du temps. Ils reçoivent ensuite un traitement qui réfléchit une partie des ondes bleu-violet et les empêche de pénétrer dans l’œil.
La promesse des opticiens est d’arrêter 30 % à 40 % de toute la lumière bleue. Selon le Pr Renard, ce bénéfice est surestimé : « Elles ne filtrent pas toutes les longueurs d’ondes problématiques, et elles ne parviennent à arrêter que 20 % environ de celles qu’elles atténuent : c’est très insuffisant pour pouvoir affirmer protéger l’œil. »
C’est le deuxième argument médical avancé avec lequel les ophtalmologistes ne sont pas d’accord : « L’ordinateur est un révélateur, explique le Pr Souied, ophtalmologiste. Les maux de tête ou les douleurs périorbitaires en fin de journée signifient que vous avez probablement un défaut visuel non corrigé. Vous compensez par des efforts des muscles des yeux, ce qui provoque la fatigue. » Dans ce cas, la seule chose à faire est de prendre rendez-vous avec son ophtalmologiste.
Toutefois, lorsque l’on passe de longues heures devant l’ordinateur, la concentration peut nous faire ralentir le rythme du clignement des yeux, et provoquer ainsi une gêne et une irritation. Dans ce contexte de sécheresse oculaire, les lunettes anti-lumière bleue pourraient apporter un peu de confort. C’est ce que décrivent certains témoignages sur les forums des sites internet. Ce n’est pas impossible, mais pas prouvé : l’hypothèse est en cours de test, elle n’est pas encore démontrée. Bien sûr, il est aussi possible de résoudre le problème en se procurant des larmes artificielles, en veillant à varier les positions du regard, et à placer l’écran légèrement en dessous pour ne pas écarquiller les yeux. Mais c’est moins joli qu’une paire de lunettes.
Certaines publicités ambiguës laissent à penser que les lunettes anti-lumière bleue peuvent nous préserver de la DMLA, caractérisée par l’apparition d’une tache noire au milieu du champ visuel. De quoi faire bondir le Pr Éric Souied, spécialiste de la DMLA : « C’est un argument marketing ! Aucun verre ne peut protéger contre cette maladie à 70 % génétique. »
Plutôt que d’acheter des lunettes, il vaut mieux... arrêter de fumer. « C’est le principal facteur modulateur de la DMLA, qui augmente le risque de 4 à 6 fois », rappelle-t-il.
Auteur : Jasmine Saunier